Vivre l’ascension au quotidien comme la Pâques
Deux semaines après la descension de la première parachutiste togolaise, Julienne Kondi, en chute libre de l’espace vers le sol, la tradition chrétienne catholique célèbre son habituelle solennité de l’Ascension du Christ. Si la résurrection est anhistorique, nouvelle que les Apôtres ne furent pas témoins oculaires de cet événement, ils le furent au moins de celui de l’Ascension. C’est ce que nous rapporte saint Luc. Comment comprendre cette fête ? Que disent les textes bibliques ? Quelles en sont les influences culturelles ? Quels messages pour nous ?
Compréhension du concept ‘’ Ascension’’
Action de monter, de s’élever dans les airs, ce substantif féminin ascension, vient du latin, ascensio, – qui vient lui-même du verbe ascendere (ad-scendere), signifiant « monter, gravir ». En grec, le terme utilisé pour décrire cet événement est analepsis. Quel sens revêt-elle dans le christianisme ?
Dans le christianisme
l’Ascension désigne le moment où Jésus est monté au ciel, montée vers le Dieu son Père après avoir été mis sur la croix, 40 jours après la Pâques ou après la résurrection. L’Ascension signifie en outre rejoindre le domaine divin, car Jésus est le Dieu préexistant incarné, pris chair (Jn 1,1-14) et qui doit retourner à son origine spirituelle après sa mission terrestre où il connut la mort. En cet événement christophanique, Jésus mort et ressuscité s’est élevé et a disparu dans une nuée sous les yeux des Apôtres. Un terme théologique pour autant.
Des fonds culturels gréco-romains
Il est possible que l’auteur de l’Évangile selon Luc (Lc 24,51) et des Actes des Apôtres (Ac 1,1-11) s’inspire d’une tradition populaire faisant un parallèle avec les assomptions respectives d’Hénoch (Gn 5,24) Elie (2 R 2, 5, 9-12) quelque grandes figures du judaïsme ou encore avec d’autres récits édifiants mettant en scène l’élévation de personnages illustres de la mythologie gréco-romaine, comme Romulus, Hercule ou Médée, voire des apothéoses d’empereurs romains, dans une démarche et un récit qui tendent à historiciser le phénomène d’élévation de Jésus. Bien que ces approches mythologiques ne sont pas unanimement partagées, un chercheur de la vérité ne saurait bien faire de se défaire de ces traces historiques comme le définit Chantal Million-Delsol affirme à juste titre que « les mythes sont des récits ni vrais ni faux, mais plein de sens ». Cette démarche épistémologique de démythologisation est alors nécessaire afin de pouvoir accepter de façon quelque peu rationnelle, cette solennité qui constitue un article dogmatique de la foi chrétienne.
Ainsi, dans la mythologie grecque, l’apothéose signifie l’admission du héros parmi les dieux de l’Olympe. On a pour exemples celles d’Héraclès ou d’Énée. Pendant la période romaine, par contre, l’apothéose est une cérémonie de déification (anthume ou posthume) pour les empereurs (ou exceptionnellement pour une personne de la famille ou de l’entourage de l’empereur). Selon l’étymologie, apothéose vient du latin apotheosis (« déification »), lui-même issu du grec ancien ἀποθέωσις, apotheosis, re-tourné vers dieu ou pour dieu, il est dérivé de θεός, theós (« dieu »).
Récupération chrétienne
À la place du mot « apothéose », les théologiens chrétiens utilisent les mots « déification », « divinisation » ou le mot grec theosis. La théologie traditionnelle voit Jésus-Christ comme le Dieu préexistant qui prend la condition des mortels, et non comme un mortel qui aurait atteint la divinité (problématique des lettres de saint Jean). Cependant, pour saint Jean entre autres, dans son prologue (Jn 1,1-14), Jésus était Dieu incarné.
Pourquoi Jésus s’élève vers le ciel ?
Partons de l’axiome selon que Jésus a harmonieusement une nature divine et humaine. Après sa mort sur la croix, parce qu’il est homme, Jésus ressuscité devrait être élevé aux cieux pour entrer dans le domaine divin, à cause de sa nature divine, laissant les hommes libres de croire, sans les contraindre par sa présence humaine. Vers le ciel, ce n’est pas monter uniquement dans les airs comme pourrait le faire croire la description ou les tableaux. Considérant la symbolique du ciel (Mc 16,19) dans la cosmogonie juive, la foi biblique ne peut situer Dieu qu’en haut, au sommet de l’univers, tandis que le lieu de la mort, et aussi celui du mal, est en bas vers le sol (Gn 4, 7), ou plus bas encore pour la mort, au Shéol. Que reste-t-il alors après ?
L’ascension pour un mandat et une continuité
L’objectif d’un chrétien est sa déification ou divinisation mieux (theosis). Cela est possible parce qu’il est fait à l’image de Dieu et il peut donc devenir comme Dieu. Cette dimension divine, acceptée par ses disciples, fera d’eux des missionnaires devant annoncer la Bonne Nouvelle – sens littéral du mot « évangile ». De même que ‘’l’ascension’’ d’Elie et le don de l’esprit prophétique se succèdent dans le récit, ce dont nous pourrons nous souvenir en lisant les récits de l’Ascension et de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres, Elisée refait les gestes d’Elie, les disciples referont les gestes de Jésus et rediront ses paroles. Cette évangélisation marque le début de l’Eglise chrétienne. L’élévation aux cieux révèle également un message, et non des moindres pour les croyants : leur vie éternelle. L’Ascension de Jésus s’incarne dans la vie des chrétiens par les sacrements, et plus particulièrement celui de l’Eucharistie, à travers l’hostie et le vin consacrés : l’immanence et la transcendance du Christ. Quelle est donc son origine ?
Depuis quand fête-t-on l’Ascension ?
L’Ascension est célébrée le jeudi depuis le IVe siècle, sur l’initiative du pape Léon Ier le Grand. Selon les traditions, elle est fêtée quarante jours après Pâques ; temps parfait de la naissance du disciple, le temps d’une révélation ! La fête de l’Ascension, comme celle de la Pentecôte, concerne l’identité profonde de Jésus, et celle du croyant, transformé par son adhésion à Jésus, par la proximité qui le gagne face au mystère. Lors de la messe, le prêtre est vêtu de blanc, symbole de pureté, de lumière et de joie. Quels messages symboliques pour les croyants ?
L’ascension au quotidien comme la Pâques
Une perception concrète de la Pâques, serait le passage du négatif au positif. Ce positif peut s’entendre prendre de la hauteur, atteindre un changement qualitatif. Ceci étant, l’ascension comme le fait de s’élever à un niveau supérieur peut s’utiliser pour décrire les exploits des hommes en plusieurs domaines restants sauf que les moyens pour y parvenir sont moralement bons. On peut notamment évoquer entre autres :
dans le domaine intellectuel : de la médiocrité à l’illumination intellectuelle
dans le domaine moral : d’une vie dissolue à un changement qualitatif : une réelle conversion
dans le domaine social : de la misère à un mieux-être ou à l’abondance comme fruit ou bénédiction de ces efforts, etc.
L’ascension chrétienne nous rappelle que le but final de notre vie de foi se trouve au ciel, en Dieu dont nous aurons la vision béatifique au soir de notre vie. Elle crée en nous la confiance qu’après les épreuves assumées de la vie, un changement qualitatif permanent peut nous advenir : les pâques et la stabilité en Dieu, l’ascension : au-delà de toute souffrance, une joie sans fin nous attend.
Bonne et fructueuse solennité de l’Ascension.
Père Jean Baptiste Labadeh, c.d (clergé diocésain de Lomé)